Du
vert partout, avec quelques taches écarlates ça et là sur le parvis, des murs de briques blanchâtres, un plafond dans le même ton, une fenêtre ovale au milieu de chaque mur, une pièce à la forme octaèdre, compose le lieu où je suis confiné. Je m’approche d’une des fenêtres. Je commence à entrevoir un paysage vallonné, avec une double fleur de feu dansant au sein d’un océan camaïeu dans l’air : un paysage digne des peintures les plus surréalistes. Quelques étranges oiseaux, issus d’une sorte de mariage de pingouins avec des paons, virevoltent au dessus de ce qui semble être des cabanes en lévitation. Au sol, des gens prennent forme, s’avivent, le long d’une route opaline.
Une personne commence à léviter au fur et à mesure qu’elle approche de ma fenêtre où je reste impassible, figé. Je distingue des ailes dans son dos, des ailes dont elle n’a nul besoin pour défier les lois de la gravité. Je vois son visage de femme souriante, puis une sonnerie retentit dans la pièce, rebondit en échos sur les murs, s’amplifie… et c’est l’obscurité lumineuse. Mes yeux se ferment, métaphoriquement parlant, sur le monde de Morphée, pour se rouvrir à la réalité de la planète Terre où mon corps peine à sortir de sa léthargie.
Je toussote. Et la lumière fut, fuse, tamisée au début, dans la chambre. Elle s’intensifie petit à petit, me laissant m’habituer au déclin de la pénombre. Je réalise soudain qu’aujourd’hui va être le grand jour. Je dois me dépêcher de boucler les derniers préparatifs. Mais je m’attable d’abord avec une plume de l’ancienne génération et un des derniers journal de bord en papier recyclé, préféré à la technique de l’écran parcheminé avec disque dur intégré, vendu dans tout bonne boutique virtuelle du réseau. Réalises-tu à quoi tu as échappé mon bon ? J’y appose ces dernières lignes en espérant bien pouvoir t’emporter avec moi et te continuer dans les étoiles, cher miroir des mots…
Journal de bord d’Yves D’Orion
Yves d’Orion, scientifique européen de renom, est devenu un parangon pour les férus des mystères de l’univers, une icône dans l’exploration spatiale. Il fait d’étranges rêves inexplicables depuis qu’il a souvenir de rêver, d’étranges rêves qui parfois le guident dans ses recherches. Il va être le commandant de bord de la première navette humaine, dotée d’un système de propulsion atomique stabilisé. Un système qui permettra à la navette de se rapprocher de la célérité de la lumière, si tout se passe bien, hors anneaux de téléportation. « Objectif lune pour Orion » titrent les journaux de ce 26 mars 2183. De cet éponyme fallacieusement employé, un novice aurait pu faire l’amalgame avec Orion que la mission n’effleurerait même pas d’une année lumière. L’objectif était stipulé en tout petit caractère, en dessous du gros titre : « Dans la dernière et plus lointaine galaxie connue identifiée, surnommée la galaxie de la roseraie, la colonisation de la lune d’Armony par le génial Yves D’Orion accompagné de sa fine équipe. » Inutile de vous perdre dans tout un fatras d’explications quant au pourquoi des noms, dont la source d’inspiration diffère suivant l’observateur, chanceux d’être le premier à avoir découvert des recoins non référencés dans les archives communes. Et nous reviendrons plus en avant sur la source de cette exploration spatiale. Reparlons d’Yves D’Orion.
Yves D’Orion, bien qu’il ne soit pas en quête de gloriole, a fait la une de diverses chroniques, a remporté de multiples prix. A l’âge de 27 ans, il n’a cependant que 6 ans de souvenir de vie. Une étrange amnésie que n’ont su soigner les médecins malgré leurs différents aboutissements sur les travaux du cerveau humain. Une autre bizarrerie qui fit d’Yves un extraterrestre aux yeux de ses pairs, fut l’absence d’identité le concernant dans les archives, ainsi que les différences génétiques de ses cellules par rapport aux gênes connus. Certains scribouillards en quête de sensations fortes et de ragots, fantasmant sur les héros des comiques, avaient soutenu la thèse d’une expérience scientifique conduit par un laboratoire secret. Ils avaient fait la corrélation entre son amnésie et un accident qui serait survenu lors d’une phase de tests. D’autres gens plus pragmatiques, dont les chargés des bureaux administratifs, pour la nature de l’originalité, avaient été amenés à opter pour des mutations génétiques, courantes dans leurs rapports. Des mutations dont l’hypothèse principale était une trop longue exposition aux ultraviolets. Quant à l’absence dans les fichiers, il prenait certainement sa source dans un bug, l’exception qui confirme la règle, ou une probable malveillance d’un maillon de la chaîne qui ce jour là n’était pas bien, une malveillance qui aurait touché d’autres personnes. Probablement aussi qu’on avait voulu cacher son existence pour ne pas alerter la santé publique, pour x raisons incongrues ; chose possible aussi, si la mère n’avait pas déclaré sa grossesse et avait accouché sciemment en toute « illégalité », loin des infrastructures de la science moderne. Des doutes subsistaient, mais nulle trace de corruption ou autre affaire louche soulevée par la police des polices, nulle autre explication plausible ne tenait la route et ne pouvait être avérée, confirmée, l’affaire fut officiellement classée.
La suite est une « banale » histoire d’enchaînements de succès : dès la première année de sa renaissance, obtention du diplôme de l’école de la Nasa, diverses inventions brevetées et utilisées par les plus grandes entreprises oligospatiales ; travaux aboutissant à des nouveaux théorèmes, des remises en questions des dernières connaissances physiques, chimiques de l’univers, mise en place d’une nouvelle technique d’exploration de l’inconnu, les années suivantes, jusqu’à sa nomination en tant que commandant de bord de missions d’explorations. Le 22ème siècle tenait son Einstein puissance 10. Les journalistes chargés de vulgariser les articles avec d’affreuses migraines au point que les aspirines rentrent dans le budget rédaction, les philosophes et historiens qui avaient fait des courbes d’extrapolation, établies des cycles d’avancées de l’Homme, qui pensaient que l’âge d’or de la technologie touchait à sa fin, atteignaient un point de saturation et avaient dû « mettre au feu » leurs travaux de plusieurs années.
L’histoire hors du commun d’Yves, qui n’en avait pas fini de défrayer les chroniques, touchait à son point culminant en ce jour. Qui d’autre que lui pouvait être pressenti pour une telle mission, d’autant plus quand il en était lui-même l’instigateur ? Cet épanouissement ne l’empêchait cependant pas d’être asocial, de ressentir un profond malaise, mal-être. Qui est-il exactement ? Il s’est lui-même donné son nom mais il ne connaît pas le nom qui lui a été donné à son berceau. Il ne sait pas qui sont ses parents, il n’a pas souvenir de son enfanceet fait des rêves, parfois des cauchemars, où des individus, extraordinaires dans la physionomie, lui parlent dans des langues inconnues sur Terre et dont il arrive pourtant à comprendre le sens. Ainsi, « comme de coutume », en ce mardi 26 mars, malgré la satisfaction à venir, les pensées errantes dans les limbes de ses dernières visions, après avoir écrit les quelques lignes de son intimité, Yves pose sa plume et son journal dans le tiroir de la table de chevet, s’assoit sur un tabouret en bois, dans sa chambre sobrement meublée (en plus du tabouret, un lit à air comprimé généré par un moteur silencieux encastré dans le mur, des murs blancs, avec quelques posters d’étoiles, de constellations, un distributeur/blanchisseur de vêtements, une étagère où sont rangées des maquettes de navettes, des babioles, des journaux). Suite à un claquement de doigts, la fenêtre ovale s’ouvre pour laisser rentrer les crins de la rose solaire. Suite à un deuxième claquement, accompagné d’une poussée sur une protubérance du bois où il est assis, Yves se laisse porter vers sa douche automatique horizontale (permet de mieux masser le dos), par le tabouret qui s’est mis à voler.
Toujours perdu dans ses méditations lorsque les jets d’eau chaude moussante viennent caresser, masser, épouser les formes de son corps, la glace transparente suspendue au plafond, qui lui reflétait le ciel marin qui domine son appartement, lui renvoit soudain des formes disproportionnées, un physique inhumain, proche des fantômes de ses nuits. Sous l’effet de la frayeur, il appuie sur les boutons du tableau de bord étanche situé à sa droite, et met fin à sa séance de détente. En reposant ses yeux sur la glace, remise en mode opaque, lui arrive le reflet bien palpable de son enveloppe corporelle, qu’il contemple, analyse comme si c’était la première fois : un visage ovale, des oreilles courtes, des lèvres pulpeuses, des cheveux châtains mi-long, des yeux vert-noisettes, des joues rosées, rougies par l’eau, des muscles saillants, une peau légèrement basanée, une corpulence de taille moyenne, des longues mains, avec des doigts fins. Il décide de se relever, de revêtir une tenue vestimentaire pratique, pantalon marron clair et pull vert en tissu de synthèse, pour finalement bâcler les dernières obligations d’un lever qu’offre la condition humaine.
De retour dans le salon, où l’attend sa statomobile incrustée dans une partie de la baie vitrée, entrouverte par le robot ménager, il enclenche la mise en veille de l’ordinateur central, programme l’alarme. Il prend pour tout bagage un dossier, monte sur le siège en cuir de synthèse marron, appui sur le bouton d’un tableau de bord, puis tout s’enchaîne : les portes coulissent, les lumières s’éteignent, les quelques robots encore en action s’immobilisent, un bruit de moteur sous le siège qui s’élève d’une dizaine de centimètres, fait vibrer l’air de sa présence, la baie vitrée se « désintègre », une coque d’isolation translucide se forme autour d’Yves, qui ne tarde pas à se retrouver suspendu au dessus du vide. Derrière lui, la vitre se reforme, puis devient petit à petit grise, de la même texture que la façade.
Il est important de préciser ici, que les moyens de locomotion avec cockpit par isolement statique, demandent d’être en permanence dessus un générateur de champs électromagnétiques, qui fournit l’énergie, la force par un savant procédé d’émission/réception, obligeant ainsi les usagers à prendre une route de générateurs bien définie, afin de ne pas respirer l’air pollué et surtout pour ne pas se scratcher au sol, ce qui provoque un effet presque kifkif. Et pour ne pas consumer son autonomie de quelques minutes, au cas où il lui arriverait un pépin, comme d’habitude, à l’aide de son « volant » digitalisé sur l’écran, Yves bifurque illico presto vers la statoroute en suspension.
A ce qui peut sembler être à une portée de bras dans les airs, la mer lui fait face, une des seules vastes étendues que la main des terriens n’est pas venue déformer, en apparence. Dans le ciel, la fleur céleste, s’est embrasée, embrasse les nuages rosées par des siècles d’émission de toxiques. Les crins filtrés chatouillent sa bouille réveillée. Il tourne la tête vers la circulation de la route principale. Son ordinateur de bord commence à peine à l’informer qu’il y aura des embouteillages, lui conseillant, en solution idoine, de s’arrêter à la station la plus proche pour prendre une navette commune. Il aurait pu faire cette déduction tout seul vu la longue file d’attente au dessus des maisons des riches quartiers sur sa droite. Il met ce fait sur la curiosité des gens de la région, prêt à prendre une matinée de congé pour tous être sur place au moment du lancement, sentir leurs cœurs battre en harmonie du compte à rebours. Il n’a d’autre choix que d’obtempérer, de se diriger vers la bouche du grand lombric de verre érigé en bordure de plage. Pendant la descente, en posant ses noisettes sur le dôme de l’air, il ne peut s’empêcher de se dire qu’une nouvelle ère va naître de leur voyage, son regard évasif se perd ensuite dans la mélodie rêveuse, générée par la musique, le chant, les paroles diffusées dans son habitacle.
« ô étoile aux limites de l’univers, dans tes yeux s’enfuit la lumière, nous ne savons ce qu’il y a au-delà, mais la rose, l’arc céleste est là,
tendons, tendons les cœurs, les bras et le noir sans fond partira ».
Lorsqu’il revient dans son corps, il est à quelques voitures d’une place libre sur le haut de la fine couche cristalline. Devant lui, tel des bulles se fondant sur une paroi savonneuse sans éclater, les véhiculent se posent, se dissolvent sur les parois du verre. Les sièges et tableaux de bord se fixent à l’intérieur. L’absence de gravité, permet aux usagers de s’extraire sans mal de leur bulle statique, pour aller rejoindre les portes au dessous, elles aussi translucides. Yves regarde l’heure avant de s’engouffrer à son tour, il a pris assez d’avance pour que la mission n’ait pas à l’attendre. Une sensation étrange parcourt son échine au moment où il s’assoit sur un siège qui venait juste d’arriver à sa hauteur. Il met cela sur l’émotion qui presse sa poitrine : dans moins d’une heure, il sera dans les étoiles.
Quelques secondes plus tard, une barrière se forme, des murs entourent les passagers, la navette démarre. Alors qu’il espérait pouvoir décompresser, il s’aperçoit que toute l’attention des personnes autour de lui, est portée sur lui. « C’est D’Orion ! ». Il entend scander son nom comme si l’on voulait partager la nouvelle de la victoire d’une équipe dans un quelconque sport. Il rougit et tente de faire mine qu’il est indifférent à toute cette agitation, qu’il n’est pas la source de ce remue-ménage. Une petite fille s’approche de lui et le dévisage. Il porte son regard dans le vide, sur le mur blanc qui s’est cristallisé sur sa droite, fait le sourd à toute question. Quelques minutes passent, la cohue retourne à l’immobilité. Un arrêt, des gens sortent, d’autres rentrent et le manège redémarre. Puis, le trouble s’intensifie. Un homme d’une trentaine d’années qui a traversé une vingtaine de mètres de l’avant vers lui, se fige à sa hauteur, les bras croisés, avant de déclarer solennellement : « C’est bien vous, désolé que de vous mêler à cette histoire, mais ne vous inquiétez pas… ». A peine retombé le souffle de ses paroles, il sort un appareil étrange de sa poche, triture quelques boutons. Un bruit strident retentit en écho. C’est la panique à bord. Yves perd conscience. Dans les limbes, il a l’impression de ressentir la moindre vibration de la navette, il la sent faire marche arrière, bifurquer, détourner de son chemin d’origine. Le pirate allait t’il jusqu’à prendre le risque de la faire sortir de son champ d’origine ? Lorsque ses paupières se rouvre, il se retrouve de nouveau à sa place, à la même distance de l’avant et de l’arrière. A côté de lui, il y a la même personne qui s’était installée à la première station. Elle lui sourit avant de retourner la tête comme pour respecter son intimité. Yves s’étire, secoue la tête. A-t-il juste fait un somme ? Nulle trace d’escarmouche, nul détail pour témoigner de ce qui aurait pu se passer. En regardant le panneau rougeâtre, scintillant au dessus de lui, il peut voir le chemin parcouru, il est presque à destination.
Une poignée de minutes plus tard, après s’être dépêtré de la foule hystérique, avide de toucher celui qui en leur nom traversera l’univers en ce jour, Yves est à l’air libre. Arrivé en périphérie de l’agglomération bordelaise, les portes du grand centre, où se trouve la piste de décollage, lui font face. S’ensuit un nouveau bain de foule, un scanner optique, des tests préventifs avec tout l’appareillage dernier cri des chercheurs, un briefing avec ses collègues, un salut à la caméra, un discours solennel, accompagné d’une bonne couche de billevesées pour impressionner les érudits, l’habillement de l’équipement du parfait astronaute par tous les participants à cette aventure sous les bouches ébahies, envieuses des journalistes et autres spectateurs, une montée dans le vaisseau et une poussée phénoménale, qui amène l’équipe près d’une station martienne en moins de 5 secondes. Tout s’est déroulé comme à l’entraînement, le silence pesant qui s’était installé fait place à une congratulation générale sur Terre.
A l’intérieur de l’engin spatial compartimenté en triple 8, en tête, s’affère à étudier les divers écrans sous leurs yeux, l’équipage, composé de 3 femmes, Odine Dice (astronaute québécoise confirmée, chargée de la sécurité), Lyskanne Cronne (biologiste algérienne, chargée de la mise en place de la faune et la flore dans la future station), Lauisse Frin (ingénieur russe, chargée des travaux de la station) et de 4 hommes en comptant Yves, Pierret Fereur (ingénieur français, chargé des divers robots), Tervé Leblanc (pilote ingénieur belge, chargé de calculer les trajectoires idéales…), Chrisol Priver (technicien américain chargé d’aider les autres). Dans la deuxième partie, dans une sphère aménagée, résident des riches têtes qui ont été retenues pour aider à mettre en place la colonie, la faire vivre. Les autres parties sont réservées à l’habitacle et aux drôles de résidents : de l’équipement « vivant », des divers moteurs, générateurs d’atmosphères, produits chimiques, robots, plantes, animaux. Tout est rôdé, prévu, dans l’objectif de mettre en place le plus rapidement possible, une possibilité d’échanges de matières avec d’autres stations mises en place aux autres coins de l’univers. L’étude scientifique du lieu et des environs est évidement au programme.
Pour l’heure, tous les esprits sont tournés sur le bon déroulement du voyage. Yves, jouant en quelque sorte le rôle de coordinateur, est satisfait du résultat. Il admire comme ses amis, à travers le hublot de diamant, la croûte de mars et l’océan étoilé qui les entoure. D’un observateur extérieur, sur une station orbitale, le vaisseau en titane renforcé grâce à un procédé révolutionnaire à base de toiles d’araignées, ressemble à une sucette adamantine (sans le bâtonnet) qui aurait prit la forme de vagues et qui se serait arrêtée pour une contemplation, avant de s’aviver de nouveau, de s’infiltrer dans les anneaux de téléportation. Ainsi, quelques secondes plus tard, après avoir envoyé un signal de reconnaissance et d’activation, nos aventuriers font route vers leur destination, à une vitesse que l’on ne pourrait définir, étant donné qu’il s’agit plus d’une histoire de distorsion de l’univers comme s’il était une feuille, pour passer d’un point A à un point B, sans qu’aucune structure n’ait réellement bougé. L’énergie nécessaire pour générer un tel phénomène, requerrant des minéraux présents en plus grande quantité sur des planètes comme mars, couplé aux risques de l’instabilité proche d’une explosion d’un millier de bombes à hydrogène, a été à l’origine du choix de l’emplacement de l’appareillage.
A peine le temps d’écrire ces quelques lignes, que l’équipée a traversé une distance incommensurable, se retrouvant à quelques journées lumières de leur destination. Jusque là, aucun pépin n’était à signaler, la pression sans commune mesure avec les baromètres connues, avait été supportée par la mécanique, les moteurs, les parois, de la même façon que par des précédents voyages. Seul Yves, à la sortie, sentit un trouble. Sa présence n’étant plus requise jusqu’à l’arrivée, la deuxième journée, il va s’isoler afin d’assouvir la soif de nonchalance que quémande son corps. Son rêve récurrent recommence, à la différence près qu’il entend résonner une voix en lui qui l’appelle, puis s’ensuit un tout nouveau, ou la suite, avec des images plus précises où il se voit voyager puis heurter un satellite, culbuter et se scratcher sur de la roche. Il se réveille en se prenant sur le fait d’une agitation peu commune. Il hésite à écrire ce qu’il a vu sur son journal. La voix continue de résonner en lui, sans qu’il ne sache réellement ce qu’elle lui dit de faire. Il se demande s’il ne devient pas schizophrène. L’instinct, l’élan inconscient est cependant plus fort. Il sort de la pièce, retourne au tableau de bord où il relaye un membre de l’équipage. Il reste un peu plus d’une journée avant la destination.
Comptant sur l’automatisation éprouvée et le système d’alerte, Yves donne à tout le monde le droit à du repos. Il profite de la retraite générale, pour tenter de changer de cap. Tout s’accélère ensuite et donne son sens au chemin qu’a suivi D’Orion. Piégé par un système qu’il avait aidé à mettre au point, mais dont il ignorait la présence dans l’ordinateur de bord, « négligeant » le risque qu’il prenait, le petit génie se fait interpeller par l’ordinateur. Dans un état second, sentant son « Chez lui » à portée, dans une autre planète de cette galaxie qu’il avait identifié par un travail acharné, il déconnecte le système rapidement. Pas assez malheureusement, derrière lui arrivent Lyskanne et Chrisol, s’inquiétant de sa santé. Le mal de l’espace ? Les faits dépassent leur entendement. Le visage d’Yves s’est décomposé, ses bras allongés, une mutation s’est opérée. Seul les yeux d’Yves restent les mêmes, semblant implorer le pardon pour son exaction. Des hommes de noir vêtus, des agents spéciaux chargés de le surveiller depuis que les services secrets avaient eu le loisir d’analyser les particularités du phénomène, arrivent à la porte du sas et lui envoient de leurs armes des éclairs tranquillisants. Ceci n’a que pour effet d’accélérer la mutation. Ils se rapprochent, les membres de l’équipage s’écartent, résignés, une autre décharge, plus puissante. Il s’écroule. Au moment où ses pupilles retrouvent leurs fonctions, il est dans une position allongée dans l’entrepôt. Lyskanne est accroupie à ses côtés, elle prend soin de lui administrer une médication, en espérant revoir l’Yves qu’elle connaissait. En bougeant ses membres, il s’aperçoit qu’il a gagné en force, en dextérité. Il explique à Lyskanne ce qu’il lui est arrivé, qui il pense être, et appuie sur le fait qu’il doit partir sans plus attendre. Elle tente de lui expliquer qu’il pourrait très bien y aller une autre fois, mais elle comprend que sa décision est prise. Lui, se dirige vers la capsule de survie, prêt à rejoindre son Chez lui après tant de temps d’exil forcé. Après des années d’amnésie, ses souvenirs émergent, accompagnés des aptitudes si spéciales de son espèce. Il lui fait ses au-revoir. Elle verse une larme, et murmure : « Yves… Yves… ». Elle agite les bras comme si elle secouait quelque chose et reprend de plus belle pendant que lui actionne la capsule… « Yves ! Yves… » La voix se fait plus lointaine, devient un écho.
Du vert partout, avec quelques taches écarlates ça et là sur le parvis, des murs de briques blanchâtres, un plafond dans le même ton, une fenêtre ovale au milieu de chaque mur et une pièce à la forme octaèdre, composent la pièce où est confiné un homme. Par une des fenêtres s’entrevoit un paysage vallonné, avec une double fleur de feu dansant au sein d’un océan camaïeu dans l’air... Un paysage digne des peintures les plus surréalistes. Quelques étranges oiseaux, issus d’un sorte de mariage de pingouins avec des paons, virevoltent au dessus de ce qui semble être des cabanes en lévitation. Au sol, des gens prennent forme et s’avivent le long d’une route opaline… Tel est le poster du film qu’il a sur ses genoux.
Pascal Lamachère©