Quand on dit " ça n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd", qu'entend-on par là ? Je dis "qu'entend-on" au sens figuré et au sens propre, car, figurez vous, l'oreille d'un sourd est propre. Forcément puisqu'il ne s'en sert pas (seuls les entendants se rincent l'oreille)!
Donc, qu'entend-on par l'oreille d'un sourd ? A coup sûr des acouphènes. Car l'oreille d'un sourd est une véritable ruche où chaque cellule s'affaire à bourdonner et à ¦ouvrer à la fabrication du cérumen, véritable travail de fourmi pour produire ce miel d'oreille. Mais au prix de quel vacarme!
Comme de bien entendu, par l'oreille d'un sourd, on entend des sifflements variés et significatifs. Si l'oreille siffle une fois, c'est que l'eau bout. Quand le facteur passe, elle sonne deux fois. Et si l'oreille siffle trois fois, c'est que le train arrive, et il en passe sans cesse. Car l'oreille d'un sourd est souvent en train de siffler.
Avec tout ce bruit, pas moyen de faire entendre raison à un sourd. Car chez le sourd, ce sont les oreilles qui résonnent.
Dans un tel cas de figure, que laisse-t-on tomber dans l'oreille d'un sourd? Principalement, des confidences, motus et bouches cousues, des déclarations à mi-mots, mais aussi des confessions. Discrétion et absolution garanties.
Quand vous posez une question à un entendant, sa réponse est toujours l'écho de votre question. Mais si vous laissez quelque chose tomber dans l'oreille d'un sourd vous n'obtiendrez aucun écho. Car l'oreille d'un sourd est un gouffre sans fond.
Une caverne d'Ali Baba encombrée d'un bric-à-brac ensablé de malentendus, de mésententes et de ouï-dire mélangés à des
fossiles de hiatus, de laïus et d'ex-cursus.
Alors que chez un entendant "Ca rentre par une oreille et ça ressort par l'autre" "(si l'entendant n'est pas lui aussi bouché), chez un sourd, tout ce qui tombe dans une oreille ressemble à une bouteille à la mer lâchée dans une piscine vide. Rien ne s'y gagne, tout s'y perd. C'est un vrai labyrinthe à vous rendre marteau.
Aussi à l'avenir, gardez-vous des paroles lancées en l'air, car on ne sait jamais dans quel pavillon elles retombent. Ainsi, vous contribuerez à la protection des espaces sourds.
© Jean-Marie
Audrain
ÉLEGIE POUR RENARD
Il se faisait appeler FOX
Pour garder son image de marque
Et parce que, dans cette chienne de vie,
Il avait su creuser son trou.
Il portait un chapeau mou
De peur que le chapeau claque
Et que lui n'y entende que du bleu,
Et puis, avec son chapeau mou,
Il s'entendait bien, dit-on.
Mais peut-être portait-il du mou pour son chien
Car même dur de la feuille, Fox avait du chien
Avec son chapeau mou.
Il portait ce feutre par tous temps
Pour protéger ses feuilles dessous,
Mais le galure n'aimait pas l'eau
Et quand il en avait ras le bol
Il dégorgeait de bord en bord
Et du coup le jus survolté
Coulait sans détour sur ses contours
Qui lui sifflaient à tue oreilles.
Ses misères, ses soucis, comme d'autres les crient,
Lui, sa surdité, il l'écrit.
La vie étant bien trop sourde
Pour la prendre au sérieux,
Il avait réuni des blagues en troupeau,
Pas une méchante mais toutes marrantes,
Et il les envoyait en tomes à ses potes
Des sourds qui lui revaudraient bien un pot
Et chacun de lui tirer son chapeau.
Ses recueils se dégustent comme des mille feuilles.
Si t'as pas d'oreille, tu les reçois à l'oeil,
Si t'as pas d'oseille, mets ta main à la feuille
Et fais la preuve par Fox de ce paradoxe
Qu'il n'y a pas plus bavard
Qu'un sourd hilare
Qui ne veut rien entendre
Quand on lui dit d'attendre
Pour rire à oreille déployée
Que le prochain tome soit bouclé.
© Jean-Marie
Audrain
L'HISTOIRE DU CHAUVE SOURD
C'est l'histoire d'un chauve qui avait les trompettes d'Eustache bien mal embouchées. Il alla sans détour chez l'audio-prophètiste qui lui en mit plein l'ouïe pour l'affubler d'une paire de contours. Mais entendre avec ça, c'était une autre paire de manches.
En fait, ces engins l'assourdissaient tellement qu'en voulant s'en arracher les cheveux, il s'en arrachait les oreilles.
C'est ainsi qu'il cassa ses coudes, ce qui entraîna un épanchement de cérumen... Il se dit alors : "Tiens, depuis que je suis sourd, je me suis assoupli; avant je n'aurai jamais pu me mettre les coudes dans les oreilles".
D'ailleurs, c'est en portant sa main gauche à son coude gauche - ça, seul un sourd peut le faire- qu'il s'aperçut que le contour n'était plus suspendu au trou de l'embout. Même le trou avait disparu. Maladroit comme il l'était, il avait perdu les deux, ce qui lui en bouchait un coin. Pensez donc, des trous tout neufs! Et coudés en plus! Il retourna donc exposer le problème à l'audio-prophètiste. Celui-ci s'étonna :
"Comment pouvez-vous perdre des contours allumés?"
"C'est qu'il faisait nuit" répliqua l'autre.
-"Mais même la nuit les contours sifflent"!
-"Possible mais je ne peux plus les entendre si je les perds".!
-"Alors je vais vous donner un bon tuyau..."
-"Plutôt deux et des solides..."
-"Pour ne plus être à court de contours, achetez m'en deux paires! Et surtout, gardez en toujours une sous le coude!"
Comme son histoire ressemblait à une blague... le chauve sourd rit!
P.S. : Alinéa explicatif pour les entendants: le coude est un petit tuyau coudé en plastique situé entre l'embout
intra auriculaire et la tige creuse montant vers la prothèse appelée "contour d'oreille".
P.S. : Sur ma tombe écrivez :"Fermé pour inventaire". Le temps que je compte mes os.
MA DEVISE :
Mieux vaut sourd que jamais
(Dicton anonyme du 1er siècle après l'abbé de l'Épée)
Vieux mots sourds que j'aimais
© Jean-Marie
Audrain
A mon ami sourd Marc Renard
Note de l'auteur : Ces monologues humoristiques, ou sketchs, mettent souvent en scène la surdité. J'ai rencontré le mode des sourds grâce au jeunes de l¹INJS (Institut national des jeunes Sourds) de Paris, puis à SERAC (Sourd Entendant Recherche Action Communication) avant d¹en faire, hélas, l¹expérience personnelle. Bien que né " entendant ", mes textes font référence à la culture sourde et les allusions renvoient parfois à des situations ou des termes spécifiques. Mieux vaut que le lecteur entendant ne s'en offusque pas et se laisse glisser sur la suite du monologue.
Copyright © 2002
© Jean-Marie
Audrain