Chacune des particules de l’univers semblaient vibrer en lui ce soir là. Une gorgée de plus et ses sens allaient se troubler au point de non retour, tout du moins pour quelques heures. Il espérait pouvoir faire le voyage qui le sortirait de sa douleur, de son erreur. Il prit alors une grande bouffée d’air, et avala le reste de la potion. Tout était scrupuleusement prévu, tout était calculé, tout du moins le pensait il. Dans ses ingrédients, il avait omis les effets de la lune descendant sur la larme de cristal pourpre qu’il avait dû moudre quelques secondes avant de faire fondre la poussière obtenue dans l’eau de crapaud des nuages. Le léger trouble provoqué dans l’orientation des atomes changea du tout au tout la recette.
C’était par un beau soir d’automne, Grimlin avait dans ses mains une fiole vide, une fiole dont le contenu lui avait demandé des mois d’efforts, de recherche, d’extraction, de magies diverses et variées. L’atmosphère embaumait la fraîcheur de la nuit, agrémentée de naphtaline, d’une once de fumée braisée et de poussière parcheminée. Depuis la fenêtre à demi-ouverte, des rideaux de soie bleue filtraient les crins de la lune presque pleine. Dans son laboratoire éclairé à la bougie, le mage était assis au fond de son siège en cuire, devant sa table de travail, où il posa la poire en verre, vide, à proximité du corps de son dragonnet momifié ; son animal de compagnie a qui une année plus tôt il avait ôté la vie, par une tragique bévue magique.
Pour la petite histoire, Mel avait posé ses petites pattes au mauvais endroit, au mauvais moment, alors que son maître tentait de faire venir la pluie sur son jardin asséché : un micro orage naquis, et puis, « pfiou », enfin, « Brrrooooooooommmmmmmm » serait plus juste, une brisure entre les cieux et la terre, semblable à un feu ardent se propageant à la vitesse des crins des atomes émis par la fleur de feu, et de la chaire de dragonnet brûlantes en guise d’effet secondaire.
La recette magique qu’il avait récupérée du plus vieux grimoire de la collection automne hiver des cérémonies à la mode lancées il y a une trentaine d’années, devait lui servir à insuffler un second souffle de vie, faire revenir d’outre tombe l’âme du défunt, dans un corps rendu tout frais. Le liquide ingurgité, était ainsi censé lui octroyer la capacité d’ouvrir un portail entre les dimensions. Mais alors que Grimlin commença à sentir l’influx faire son effet en lui, défroisser les plis de sa peau, juguler les stries de ses veines, pendant qu’il flirtait de ses mains tout le long de la colonne de Mel, dans un sorte de va et vient pratiqué par les magnétiseurs, le fluide qui jaillit de l’effort de concentration, ne ressembla en rien à celui décrit par les dessins du livre. Une fraction de seconde plus tard, la fenêtre s’ouvrit en grand, sans trop de violence cependant. La fraction suivante, sous l’impulsion d’une brise de plus en plus forte, toutes les flammes, des bougies, et même des torches postées à l’extérieur de la pièce, le long des couloirs, s’éteignirent. Les fractions suivantes de la seconde dont il ne restait plus beaucoup de grains avant le soupire final, le souffle de l’air, le passa à se recroqueviller, à former un tourbillon noir tout autour de la pièce. Les mains du mage étaient dans l’œil de ce phénomène déchaîné, qui resta « figé » entre les murs les secondes suivantes.
C’était par un triste soir d’automne. Des nuages s’amassaient et embourbaient l’halo lunaire, une violente bourrasque tournicotait autour de la masure du mage, violentant les volets. Les sommets des hauts pins du jardin se recourbaient littéralement, tel un acrobate courbant l’échine pour faire de son corps un L renversé avant de plonger dans une abîme. Les feuilles mortes en frise dansaient frénétiquement, une grande partie déjà tapissait le crépi. Le mage pourtant d’habitude sage et serein, était pétrifié, les orbites emprunt par le doute glacé de l’impuissance, il ne savait que faire, et laissa s’écouler les secondes en spectateur. Puis la tourbillon de la pièce se mit à évoluer, comme si il avait des bras, il s’avança pour soulever le corps inerte de Mel, pourléchant les rebords de la table au point d’envoyer valdinguer la fiole à l’autre bout de la pièce, où elle ne fit qu’un, en milles morceaux, avec un bout de porte. Soudain, tout se replia, comme une marée basse qui se retire emportant avec elle ses vagues apocalyptiques. Le souffle quitta la pièce, et retourna même plus immobile qu’à son arrivée, les feuilles dehors retombèrent dans une pluie de bruissement, les arbres reprirent leur position fière de piquets verts, les nuages s’écartèrent pour laisser filer la lune vers les reflets des eaux de la terre.
Cependant, si tout autour du mage, les feuilles des parchemins s’étaient éparpillés, si des bris de verres, des morceaux de bougies jonchaient au sol, il était trop occupé à miroiter un cercle de jet qui était lui bel et bien resté. Il avait été enfanté par le tourbillon, et était là en guise d’écume prise au piège ? par le déchaînement des éléments. Le corps du dragonnet lévitait au dessus du sol, à l’intérieur de ce cercle. Son ex-maître sortit de sa transe pour comprendre avec avidité ce qu’il s’était produit. Il rassembla tous les manuscrits à terre, et au lieu de les remettre en lieu et place sur l’étagère, il les posa en vrac sur la table, ne prenant même pas le temps de défaire le désordre. De ce temps, il allait justement lui en manquer. Alors qu’il feuilletait des pages, l’intérieur du cercle se solidifiait en marbre noir, aussi noir qu’un univers sans étoiles, broyant le corps momifié qui y était prisonnier. C’est un bruit sorti des abysses des confins de l’univers, qui sortit Grimlin de sa lecture. Il ne pu s’empêcher de lâcher un « Oh » d’étonnement, emprunt d’une profonde tristesse. Pourra il un jour racheter son ignominie envers son la source de ses pairs, racheter erreur, et surtout ressusciter son dragonnet ? La tergiversation fut écourtée par un écho au premier bruit, qu’il pu identifier comme une mélopée, un chant guerrier des âges reculés, peut être des prémices de la fondation, ou même hors du temps. Quelques instants passèrent dans un lourd silence, un de ces silences qui vous fait comprendre par ses murmures audibles au sixième sens de l’âme, que ce qui va suivre n’a rien de bénéfique. Et arriva ce qui devait arriver…
Le cercle contendant, s’ouvrit sur un océan d’étoiles blues, et jaillirent des créatures difformes, habillés de métaux et de possédant de longues protubérances, dont une immense créature ailée, semblable à des oiseaux vus à l’horizon, et qui heureusement, n’avait que passée le bout de son nez. L’invocateur de cette porte, brèche, sur d’autres planètes, d’autres dimensions, eu les jambes qui devancèrent son influx neuronale, et il prit la poudre d’escampette. Il ne prit pas le temps de refermer la porte, ni de prendre son livre de chevet, ni de regarder une dernière fois les créatures qui pouvaient sortir de nul part. Ce qui dans sa bourde du jour, fut le premier acte salvateur pour sa vie, et même son âme. Toute sortes de créatures étaient en chemin pour venir déverser sur sa planète un flot d’immondices, de fiel, et sous leur poids, le plancher craquait, les murs allaient bientôt tomber, la demeure être probablement rasée. Il se téléporta dans un temple où des mages se retrouvaient en permanence. Contrastant par rapport à sa mésaventure, il fut troublé par le paisible qui régnait. Il dialogua avec la première tunique rouge venue, un ancien de ses maîtres, tentant de lui expliquer tout ce qui s’était passé. A la fin de l’échange à sens unique, le visage de panique passa de l’un à l’autre, puis ne tarda pas à se propager de la même façon qu’un virus, sur tout ceux qui étaient présent. Certains proférèrent des prières, des incantations, agenouillés sur les bancs, d’autres coururent vers la grande porte incrustée d’or, celle qui donnait sur la bibliothèque.
Après maintes recherches, consultations, discussions, les mages se mirent d’accord sur trois points :
- il fallait réveiller les forces latentes de la planète, faire venir les déesses et les dieux à un banquet céleste pour leur expliquer le problème
- il fallait trouver la caverne du guerrier légendaire et le convaincre de reprendre du service
- et surtout confiner Grimlin dans une pièce où la magie est inopérante, et le laisser se reposer jusqu’à ce que tout soit réglé.
Le mage eu beau protesté, il dû se résoudre à s’isoler, à s’allonger sur une couche, en attendant le moment fatidique. Entre quatre murs, il ne pu s’empêcher de laisser vagabonder son esprit, sur le danger qui les menaçait, il fantasma sur sa capacité à tout arranger, à refermer le vortex, le tunnel révélé. Les heures, puis les jours passèrent, sans qu’aucune information ne lui arrive, sans que personne ne vienne le visiter. Il avait finit par prendre la tisane magique qu’on lui avait conseillé, afin de ne pas avoir à subir une trop longue attente, afin de mettre son corps en veille et ne pas avoir à respecter ses « caprices ». A l’aube du septième jour, il retrouva enfin tous ses esprits. Il avait l’impression d’avoir fait un étrange voyage. Il prit une grande inspiration, s’étira de tout son long, puis se mit debout. Ses yeux nageaient encor dans de troubles eaux, ce qui ne l’empêchait pas de voir des reflets inconnus se dessiner autour de lui. Il n’y avait plus de murs, mais une vase pleine grisâtre. Les mages avaient ils échouaient ? L’avaient ils oubliaient ? S’était il écoulé un temps incommensurable durant lequel des épiques batailles s’étaient gravées ?
Au moment où il pu faire le point sur ce qui l’entourait, la malheureuse victime de la fatalité, fut assailli par une créature déchaînée, semblable au légendaire guerrier. Il évita par le heureux hasard d’une courbette, aidé par un sol glissant, les sifflements d’une épée de feu. Déséquilibré par la courbette, au second assaut il s’affala sur le sol. Il eut à peine le temps de voir des fils électrique dans l’air, une fine pluie s’épancher sur des toits en pierre bariolée, fondu dans un seul bloque, que ses yeux se fermèrent de nouveau. Là où il s’attendait à sombrer dans le voile de la mort, à voir un tunnel lumineux ou obscur, il ne trouva que sensation de trouble liquide. Sur son visage une râpe gluante semblait vouloir déverser toute une flopé baveuse. Il hésita, puis finit par battre des paupières…
La stupeur le gagna, il frissonna, vibra, eu la chaire de poule, et versa même une larme de joie. Mel, son dragonnait était fringant, là, en plein soleil, en train de lui léchouiller le visage. Il regarda le ciel, il n’y avait pas un nuage. Il conclu qu’il venait de faire un horrible cauchemar, aux limites de l’insolation. Il était dans son jardin. La brise était légère, seul les crins étaient d’airain, tout était normal. Il tourna, encor allongé, la tête vers sa fenêtre où la potion qu’il avait préparé pour faire la pluie reposait. Il se leva d’un pas bien décidé, et s’empressa de détruire le contenu contre le mur, de rendre obsolète ses effets par une incantation, préférant laisser les éléments de la nature agir d’eux-mêmes, dans le bon ordre des choses, et retourna s’amuser avec son fidèle compagnon. Depuis ce jour, Grimlin n’a plus recourt aux subterfuges de son art pour changer les choses, et est aux petits soins avec le dragonnet.
P.L